Les recherches de l’Agence Spatiale Européenne (ESA)


L’ESA, et son médecin de recherche présent au cours de l’hiver à Concordia, mènent plusieurs programmes de recherches, détaillé ici.
J’ai ici traduit un document créé par Nadja ALBERTSEN, le médecin ESA de notre hivernage, que je remercie pour ses explications.

BoneHealth :

Il s’agit d’un programme allemand, mené pour la troisième et dernière année, et qui comprend seulement les hommes.

En raison du risque de réduction de l'activité physique sur la base (comme dans l'espace à bord de l’ISS) et du manque d'exposition au soleil pendant la majeure partie de l'année (même en été, nous sommes couverts presque complètement à cause du froid), ce projet émet l'hypothèse que la composition du corps pourrait changer pendant notre séjour et que les muscles et les os pourraient s'affaiblir. Bien sûr, il ne peut pas prendre en compte la microgravité et les radiations présentes dans l’espace, mais il peut examiner des facteurs tels que la réduction de la lumière (et donc la production de vitamine D), le sommeil, la réduction de l’activité physique, le stress et l’alimentation.

Chaque mois, je réalise plusieurs activités :
·     Je remplis un questionnaire sur le volume d'activité physique hebdomadaire (léger, moyen, dur).
·        Mon sang est analysé (vitamine D, marqueurs rénaux, PTH, sels, créatinine, etc.)
·        Ma salive également (cortisol)
·      Et mon urine aussi, sur un prélèvement de 24 heures (quantité d'urine, en ce qui concerne la fonction rénale, l'équilibre hydrique et la quantité d'hormone de stress sécrétée pendant 24 heures).
·      Un test d’impédance corporelle (BIA) : un petit courant traverse le corps et mesure la quantité de graisse, d’eau, de muscles et d’os dont le corps est constitué.

Les échantillons de sang et d'urine ainsi que le BIA ont été effectués plus fréquemment au début afin de détecter toute réaction aiguë à une exposition soudaine à l'altitude - jours 2, 4, 7 et 14 - et ensuite tous les mois.

Tous les deux mois, je réalise :
·         Un scan des os du poignet et de la cheville (pQCT-scan) pour suivre la masse osseuse et la structure

Ivan pendant le scan de l'avant bras (© Nadja Albertsen - IPEV)


·         Un test Leonardo, qui est un mécanographe sur lequel je fais certains tests :


o   Sauter sur place pour mesurer la force
o   Rester en équilibre (une jambe avec les yeux ouverts et fermés)
o   Un test de « montée de chaise » pour mesurer la force également

Massimiliano réalise le test de "montée de chaise" : 10 flexions (© Nadja Albertsen - IPEV) 

·         Un test de la force du poignet
·      Porter une montre dite ActiGraph, qui ressemble beaucoup à une montre de sport et qui mesure combien de pas je fais par jour, combien d’étages je monte et comment je dors (approximé en mesurant le mouvement pendant la nuit). Je porte la montre pendant 98 heures consécutives.




SimSkill

SimSkill est un projet multinational mené pour la troisième et dernière année, et comprend les deux sexes.

Il se concentre sur la manière dont le sommeil et les fonctions cognitives et motrices sont liées et comment ces dernières pourraient également être liées aux compétences de pilotage. Il examine également la fréquence à laquelle il pourrait être nécessaire de former les astronautes à l’amarrage manuel lors de longs voyages dans l’espace.

Chaque mois je réalise :
·      Un test de Vienne: Le test de Vienne est une plaque de métal avec des trous, des lignes, etc., de tailles différentes. Je dois faire de petits tests avec la main droite, puis la gauche, puis les deux mains. Les tests consistent par exemple à tenir un stylo dans un trou de 4 mm de large pendant 32 secondes sans toucher les côtés du trou, à tapoter avec un stylo sur une petite plaque autant de fois que possible pendant 32 secondes ou à transférer des broches de tailles différentes d’un bloc aux trous de la planche aussi vite que possible.

Lors du test de Vienne. Ici avec les deux mains, et dans le petit trou (© Nadja Albertsen - IPEV)

·    Un test cognitif, effectué sur un ordinateur, qui consiste à faire des tests tels que : un test d'empathie (« lire » l'expression sur les visages des personnes), cliquer aussi vite que possible sur les carrés en mouvement, mémoriser les images et cliquer quand elles réapparaissent, regrouper certains symboles, et d’autres « jeux ».
·   Des questionnaires sur la façon dont je me sens, la fatigue actuelle, le stress, le sommeil, l’activité physique, etc.
·    Le célèbre simulateur Soyouz qui simule l'ancrage du module Soyouz à l'ISS. L'équipe est divisée en deux groupes, les voyageurs rares et les voyageurs fréquents. Les voyageurs fréquents (dont je fais partie) pilotent tous les mois avec deux scénarios (un scénario manuel et un scénario instrumental). Tous les trois mois : trois scénarios, où nous devons effectuer un vol instrumental supplémentaire, mais où l’ISS tourne comme dans la vie réelle - un peu plus délicat. Les voyageurs peu fréquents pilotent tous les trois mois, exécutant les trois scénarios.

Dans le simulateur Soyouz (© Nadja Albertsen - IPEV)

Nous faisons ces tests à la même heure chaque jour, en supposant que nous sommes fatigués  de la même manière chaque mois. Par exemple à 16 heures, parce que les gens agissent différemment le matin, que l'après-midi, ou après un repas.



EFIA (Edema-formation in Antarctica)
Un autre projet allemand mené pour la troisième et dernière année.

L’équipe qui gère le projet a fait beaucoup d’études sur l’altitude et le sommeil. Cette étude porte sur la manière dont les astronautes subissent des changements, par exemple en ce qui concerne la distribution des fluides en micro-gravité.
Ce projet porte sur les effets de l'hypoxie hypobare (manque d'oxygène dû à l'altitude et à une pression trop basse) et de l'isolement sur la barrière hémato-encéphalique, le système cardio-pulmonaire et la distribution de liquide dans le corps. Comme il est essentiel d’apporter de l’oxygène lors des voyages dans l’espace, il est intéressant de voir à quel point nous en avons réellement besoin et comment nous nous adaptons à long terme (moins d’oxygène = moins de poids et moins d’espace = moins de carburant à embarquer).
Comme il existe des réactions aiguës à l'altitude (telles que le mal d'altitude vécu par les alpinistes) et adaptations à long terme, des tests sont effectués à différents intervalles tout au long de l'année.

Les tests comprennent les éléments suivants :
·         Questionnaires : Lake Louise et AMS-C, utilisés tous deux pour l'évaluation des symptômes du mal d'altitude. Ils se concentrent sur les maux de tête, les vertiges, les troubles du sommeil, les symptômes gastro-intestinaux. Les jours de test, nous les remplissons matin et soir, car les symptômes du mal de l'altitude seront généralement moins marqués à la fin de la journée.
·     Saturation en oxygène: quantité d’hémoglobine dans le sang saturée en oxygène. Normalement, cette proportion se situe autour de 98-99% chez les adultes jeunes et en bonne santé, elle baisse ici aussi bas que 85%. Ceci est mesuré matin et soir.
·         Monoxyde de carbone dans l'air expiré.
·         Tension artérielle et pouls. Ces deux paramètres sont des marqueurs pour le système cardiovasculaire. Le manque d'oxygène fera monter le pouls (parce que le cœur va pomper plus de sang pour que les tissus reçoivent la même quantité d'oxygène qu'au niveau de la mer). La pression artérielle chute souvent parce que les vaisseaux se dilatent pour permettre à plus de sang de circuler à l'intérieur.
·         Mesure du poids. Une augmentation soudaine indique que du liquide s'accumule dans le corps sous forme d'oedème. Nadja effectue également un contrôle clinique visuel.
·         Échantillons de sang. EFIA se concentre également sur les sels et les marqueurs de la fonction rénale, avec entre autres, la quantité de protéines dans le sang, les hormones qui influencent les vaisseaux, telles que l'oxyde d'azote et certaines protéines marqueurs de l'inflammation (ils peuvent rendre les vaisseaux plus perméables et permettre au fluide de s'échapper), et HIF (facteur induit par l'hypoxie).
·         Échantillons d'urine, en mesurant les sels et les protéines dans l'urine.



ICELAND (Immune and Microbiome Changes in Environments with Limited Antigen Diversity)

Un projet franco-allemand qui se déroule pour la 2e année et se poursuivra l’année prochaine. Le projet a été étendu depuis l'année dernière et le sera encore, avec d’autres tests, l'année prochaine.

L'hypothèse au départ de ce projet est, du fait que nous sommes isolés avec les mêmes personnes dans un endroit dépourvu de plantes ou d'animaux, notre système immunitaire se modifie car nous ne sommes pas exposés à de nouvelles bactéries ou virus. Ceci est mesuré via les échantillons de sang et au niveau génétique via les échantillons de salive. Les échantillons de sang et de salive sont prélevés avant le départ, en février, en hiver, peu de temps avant l’arrivée des nouveaux arrivants en novembre, puis à notre retour en Europe. De cette façon, les chercheurs obtiennent une chronologie des changements et peuvent voir si les facteurs dans le sang et les gènes reviennent à la normale.

En plus de cela, nous faisons des échantillons de selles tous les mois. Les chercheurs vont tester le type de bactéries que nous avons dans les selles et leur évolution au fil du temps, et si nous développons avec le temps des profils similaires. Le microbiome dans l’intestin peut, par exemple, influencer l’humeur (ou le pensent les chercheurs) et il est intéressant de voir s’il existe un lien entre la façon dont nous gérons l’isolement et le type de bactérie que nous avons dans l'intestin. Par conséquent, nous remplissons également des questionnaires tous les mois pour connaître notre état d'esprit (humeur), si nous nous sentons isolés, si notre foyer nous manque et notre santé physique est auto-évaluée. Nadja remplit exactement les mêmes questionnaires pour le reste de l’équipage (comment elle pense que nous sommes) et il est intéressant de voir si elle évalue les personnes de la même manière qu’elles le font elles-mêmes.

Nous remplissons également des questionnaires de fréquence alimentaire. Cela concerne ce que nous avons mangé et en quelle quantité au cours des 3 derniers mois.

En plus de cela, ce projet suit également le poids des participants et Nadja prend des photos de tous les repas pour juger du contenu et des quantités de nourriture lorsque nous collectons les échantillons de selles (période de 3 jours avant la distribution du kit d'échantillonnage car la nourriture prend environ 3 jours à être assimilé dans l’organisme).

Enfin, nous prenons des probiotiques ou un placebo. Ce sont de petits sachets de poudre à ingérer chaque jour de l’année. Cela se rapporte à l'hypothèse selon laquelle certaines bactéries nous influencent de manière positive (probiotique). Le projet veut donc savoir si ceux qui reçoivent le probiotique s'en tirent mieux (sont de meilleur humeur) que ceux qui reçoivent le placebo.



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